

© GianniGiardinelli



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AUDREY ESTROUGO,
DE TOUT SON COEUR
« La première fois que j'ai entendu parler d'Audrey Estrougo, c'était par un producteur de Gaumont qui m'avait vanté la pugnacité de cette jeune femme de 23 ans qui s'apprêtait à réaliser son premier long métrage, Regarde moi (que Gaumont a distribué). Le seul que nous n'ayons jamais programmé à Saint-Jean-de-Luz... et que vous allez pouvoir redécouvrir lors de la séance "Mon premier film", le samedi 9 octobre.
Je me souviens d'avoir vu Regarde moi à sa sortie en 2007 et d'avoir été impressionné comme je l'avais été en découvrant le premier film de Mathieu Kassovitz. Il y avait encore peu de réalisateurs français à oser poser leur caméra dans une cité pour raconter d'autres histoires. Encore moins de réalisatrices.
J'ai été marqué au point de proposer lors d'une de mes premières réunions comme directeur artistique du Festival des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz (ancienne version du FIF) qu'elle soit présidente du jury. On m'avait bien ri au nez...
A l'été 2010, j'ai été convié à la projection d'équipe de son deuxième film, Toi moi les autres. Une comédie musicale, politique et sociale avec Leila Behkti et Benjamin Siksou. Avant de lancer le film, la réalisatrice a déclaré : «Je sais que le film a des défauts, mais il a surtout du coeur ! » La preuve, lors de sa présentation en compétition à Saint-Jean-de-Luz, il a fait battre celui de Claude Pinoteau, illustre réalisateur de La gifle et de La boum, qui est allé voir la jeune réalisatrice pour lui déclarer ému qu'il aurait aimé en être le producteur...
L'échec de Toi moi les autres n'a pas facilité la suite de la carrière d'Audrey Estrougo. Elle a alors tenté de monter sans succès La taularde avec une actrice célèbre mais dont les financiers ne voulaient pas. Pour sortir de la déprime, elle a remonté ses manches, fait un crédit et écrit un nouveau film, Une histoire banale, qu'elle a tourné en partie chez elle, avec une équipe complice et bénévole et une comédienne fidèle : Marie Denarnaud. Cette histoire de descente aux enfers d'une femme violée était en avance sur le mouvement #meetoo. Aucun distributeur n'en a alors voulu. La cinéaste était au bout du rouleau. En 2013, je lui ai proposé de venir se changer les idées en participant au jury présidé par André Dussollier et de montrer le film hors compétition. La salle lui a réservé une ovation debout. Quelques temps plus tard, elle a trouvé enfin un distributeur, Yohann Cornu (Damned Films), qui l'a suivi plus tard sur un autre film, À la folie.
Après quoi, une rencontre fortuite sur un quai de gare avec Sophie Marceau relance La taularde. Le film finalement réalisé, nous nous sommes accordés avec Audrey pour que la première de ce thriller carcéral ait lieu en ouverture du Festival 2015, le 2e FIFSJDL. Parallèlement, elle a accepté de réaliser bénévolement un court métrage écrit par des lycéens de Saint-Jean-de-Luz et dont le tournage était prévu le week-end précédant l'ouverture du Festival pour être projeté à la clôture. Soit tournage, montage, mixage, étalonnage, composition de la musique... Tout ça en une semaine ! Une folie ! Un exploit ! D'autant que deux semaines avant la première de La taularde, la cinéaste apprenait que son film était lâché par son distributeur. Qu'importe, on l'a montré quand même (le film est sorti un an plus tard !). Et bien que moralement atteinte, elle a réalisé Gabriel, court métrage qui a aujourd'hui dépassé largement les 700.000 vues sur Youtube.
Cette combattante est ensuite remontée sur le ring pour réaliser une série pour Arte, Héroïnes. L'histoire d'un groupe de femmes au chômage qui se reconverti dans le catch féminin. Ces galériennes qui ne se laissent pas abattre sont comme les jumelles de la réalisatrice.
L'annonce de son projet suivant a fait grand bruit et m'a laissé rêveur : un biopic de NTM adoubé par Joeystarr ! Du pain béni pour cette fan de rap qui a réalisé au début de sa carrière un documentaire sur le groupe IAM, Un autre printemps. Mais là encore, l'adversité s'en est mêlé : un autre projet sur le groupe de rap a fait surface, pour Netflix. La bataille s'est engagée. Et attendant de filmer les débuts du Suprême NTM, Audrey Estrougo a tourné rapidement, à l'arrache, un film très personnel, À la folie (présenté l'an dernier hors compétition) sur lequel elle a travaillé pour la première fois avec Théo Christine, son Joeystarr. Pour Kool Shen, elle a choisi Sandor Funtek, qui avait présenté K contraire au Festival.
Et enfin elle a tourné Suprêmes. Heureuse, elle m'a montré les premières images sur son téléphone. Puis elle m'a invité à une projection de travail. Assis à un fauteuil de Joeystarr - qui ne masquait pas son émotion, j'ai été cueilli par ce film qui raconte avant tout une poignante histoire d'amitié entre deux gamins des cités que leur talent a élevé. Le film a eu les honneurs de la sélection cannoise et en mai dernier, Audrey Estrougo et ses comédiens ont fait une montée des marches joyeuse et enflammée. Quelle fierté !
Après ce détour sur la croisette, il est temps pour la cinéaste de revenir à Saint-Jean-de-Luz pour présenter Suprêmes et Regarde moi. La où elle a toujours été accueilli comme une membre de notre famille de cinéma. Car cette Parisienne de naissance, Marseillaise dans l'âme, est aussi Luzienne de coeur. Bienvenue à la maison Audrey. »
Patrick Fabre / Directeur artistique

Filmographie
2007 - Regarde moi
2008 - Encore un printemps (documentaire)
2010 - Toi, moi, les autres
2013 - Une histoire banale
2015 - La taularde
- Gabriel (court métrage)
2017 - Héroïnes (série télé)
2020 - À la folie
2021 - Suprêmes